La réforme des retraites est injuste. Elle est aussi injustifiée sur le plan financier. Les Français l’ont bien compris : 80 % d’entre eux s’y opposent. 68 % sont même favorables à une réforme… pour revenir à 60 ans. Mais Emmanuel Macron et son gouvernement s’obstinent.
Pourquoi un tel entêtement alors que le Conseil d’Orientation des Retraites dément toute « dynamique non contrôlée des dépenses de retraite », que le Conseil de Suivi des Retraites acte « une stabilisation voire un repli, à terme, de la part des retraites dans le PIB » ? Pour les macronistes, qu’importe que nombre d’économistes aient déjà détaillé en quoi le projet de réforme du gouvernement était inutile, en quoi l’éventuel besoin de financement à venir était limité (0,4% du PIB en moyenne) et pouvait donc été résorbé de bien des manières sans réforme antisociale. Qu’importe que notre système de retraite dispose de ressources et de réserves jamais évoquées.
Privé d’argument et de majorité dans le pays, le gouvernement tente tout de même d’affoler les Français pour vendre une réforme dont ils ne veulent pas. Pourquoi tant d’insistance à vouloir réformer ? Pour quoi ? Ou plutôt pour qui ?
Certainement pas pour les travailleurs : à différents niveaux, tous seront frappés – les plus précaires et les femmes en premier lieu. Report de l’âge de départ, durcissement de l’allongement de la durée de cotisation, nouvel élargissement du sas de précarité avant la retraite, diminution brutale et historique de la durée de vie à la retraite.
Mais ce que les travailleurs perdront, d’autres vont le gagner. C’est que le gouvernement a commis l’imprudence, il y a quelques mois à peine, de révéler la vraie motivation à cette réforme. On la retrouve écrite noir sur blanc dans les documents les plus officiels qui soient : le budget 2023, et le programme de stabilité 2022-2027 transmis à Bruxelles.
« Les administrations de sécurité sociale participeront à la maîtrise de l’évolution des dépenses, permise notamment par la réforme des retraites […] Cette maîtrise de la dépense permettra […] la suppression de la CVAE (cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises) », c’est-à-dire la suppression des soi-disant « impôts de production » payés par les entreprises en particulier les plus grandes. Des propos qui ont également été tenus par le ministre de l’Economie Bruno Le Maire au micro de France Inter : « nous baisserons les impôts de production […] pour ça, il faut être capable de l’autre côté […] d’engager des réformes structurelles […] c’est l’objectif de la réforme des retraites » – avant que le gouvernement change de communication pour ne pas plus révéler le pot-aux-roses.
L’objectif du gouvernement n’est donc nullement d’améliorer les conditions des travailleurs et des retraités ni même de « sauver le système de retraites », mais d’offrir toujours plus de cadeaux aux entreprises et leurs actionnaires. Derrière l’objectif comptable, c’est un transfert du travail au capital de 8 milliards d’euros par an, financé par des coupes claires sur les retraites.
Et les entreprises bénéficiaires méritent qu’on s’y intéresse. Car ce sont de loin les grandes entreprises (plus de 5000 salariés ou plus de 1,5 milliard d’euros de chiffre d’affaires) qui y gagnent le plus : une somme qui dépasse 6 millions d’euros en moyenne pour chacune d’elle, 450 fois plus que le gain moyen de toutes les entreprises, pendant que les boulangers doivent se battre pour payer leur facture d’énergie ! Gagnantes parmi les gagnantes, dans l’ordre : les grandes entreprisses de production et de distribution d’électricité, l’information et la communication, la finance et les assurances. Voici donc le projet de M. Macron. Sacrifier le système de retraite français, pour que Total, Bouygues, la Société Générale et d’autres puissent gaver leurs actionnaires un peu plus.
En 2022, les entreprises du CAC40 ont versé plus de 80 milliards d’euros à leurs actionnaires. C’est 30 fois plus que les sommes que lesdits actionnaires ont apportées aux mêmes entreprises. Au total, c’est plus de 260 milliards d’euros de dividendes qui sont versés en France chaque année, sans compter le gaspillage des rachats d’action pour gonfler les cours de bourse. Mettre à contribution les dividendes au même taux que les salaires rapporterait jusqu’à 48 milliards d’euros par an pour les retraites. De quoi rendre immédiatement et durablement excédentaire le système, et ainsi permettre de financer de meilleures conditions de retraites. Si ces revenus du capital étaient taxés comme ceux du travail, il y aurait donc de quoi financer largement la retraite à 60 ans avec 40 annuités !
Déjà gagnants à la réforme des retraites par les cadeaux fiscaux qu’elle prévoit donc de compenser, les financiers le seront également d’une autre manière : la casse du système par répartition est un moyen efficace de pousser ceux qui le peuvent à se constituer leur épargne privée, par capitalisation. Là encore, des sommes considérables sont concernées sur lesquelles lorgnent les grands assureurs et les fonds de placement ou d’investissement. Emmanuel Macron a déjà œuvré en ce sens lors de son précédent mandat, en accordant des avantages fiscaux incitatifs à la constitution d’une épargne retraite par capitalisation.
Plus que jamais avec cette réforme, le crédo macroniste est clair : leur ami, c’est la finance ! Raison de plus pour que le peuple se manifeste fortement dans la grève et les manifestations. Car comme le dit la chanson :
Dans les coffres-forts de la bande
ce qu’il a créé s’est fondu
En décrétant qu’on le lui rende,
le peuple ne veut que son dû.