« Je suis le fruit d’une forme de brutalité de l’histoire, d’une effraction ». C’est ainsi qu’en 2018, Emmanuel Macron présentait son élection à la présidence de la République. La réforme des retraites montre que l’effraction est devenue une méthode de gouvernement. Le gouvernement veut imposer cette réforme, injuste, injustifiée, et minoritaire, par un coup de force.
Le tableau est clair. 80% des Français, et même 93% des Français en âge de travailler sont contre cette réforme de report de l’âge de départ à la retraite. La totalité des organisations syndicales de salariés sont unies, pour la première fois depuis douze ans ! M. Macron n’a pas de majorité dans le pays pour cette réforme.
Il n’en a pas le mandat non plus !
L’argument de la « validation » a priori de cette réforme par l’élection présidentielle ne tient pas. Lors du premier tour de la présidentielle, moins de 40% des électeurs ont voté pour une candidature qui prévoyait de reporter l’âge de la retraite au-delà de 62 ans. Cette idée était donc clairement minoritaire. Les conditions d’élection du président de la République ne valaient pas non plus accord sur ce point. M. Macron lui-même faisait mine de le reconnaître au soir du deuxième tour, lorsqu’il déclarait « je sais aussi que nombre de nos compatriotes ont voté ce jour pour moi non pour soutenir les idées que je porte mais pour faire barrage à celles de l’extrême droite […] J’ai conscience que ce vote m’oblige ». Il ne croyait pas si bien dire ! Un électeur Macron sur deux au deuxième tour l’a fait pour faire barrage à Marine Le Pen et non par adhésion au projet macroniste selon Elabe et IPSOS. Arguer de la légitimé de cette élection biaisée est donc un hold-up démocratique.
Il y a même une provocation supplémentaire à présenter comme un compromis la reprise de la proposition d’un départ à 64 ans, alors qu’elle était portée pendant la campagne par le candidat le plus clivant, Eric Zemmour.
L’argument selon lequel les Français auraient validé cette réforme lors des élections législatives ne tient pas non plus. Rappelons que c’est la Nouvelle union populaire écologiste et sociale qui a gagné le premier tour de ces élections en arrivant en tête. La macronie a lourdement perdu ces législatives perdant plus de 100 sièges et la majorité de l’Assemblée. La défaite fut telle que la Première ministre n’a même pas sollicité le vote de confiance de l’Assemblée, pratique inouïe dans un régime se prétendant une démocratie parlementaire.
Conscient que cette réforme injuste est profondément minoritaire, le gouvernement agit avec la brutalité constitutionnelle qui le caractérise depuis juin. Après l’emploi systématique de l’article 49.3 pour faire adopter le budget sans vote de l’Assemblée cet automne, il recourt cette fois-ci à l’article 47-1 de la Constitution. Le gouvernement change de calibre mais la logique reste la même. Pour paraphraser Emmanuel Macron : vider le chargeur gouvernemental sur la tête de l’Assemblée et imposer un texte de loi sans vote du pouvoir législatif.
Car cet article 47-1 est bien un 49.3 déguisé. Il prévoit que le débat à l’Assemblée ne peut excéder vingt jours en première lecture. Et après cinquante jours au total, le débat est interrompu, même si l’Assemblée n’a pas voté et le gouvernement peut imposer son texte par ordonnances. Le gouvernement peut ainsi écrire la loi sans le Parlement. Le 47-1 agit donc comme une guillotine dont le couperet est connu avant même le début du débat parlementaire.
Comme le dit le constitutionnaliste Benjamin Morel dans L’Humanité du 18 janvier : « la méthode [du gouvernement] contrevient à l’esprit de la Constitution » car « des arguments solides nous permettent de plaider qu’il s’agit d’un détournement de l’usage du PLFSSR ». En effet, l’article 47-1 s’applique aux projets de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) – ici, en l’espèce, un PLFSS rectificatif. Mais la réforme des retraites est bien plus large que des mesures de financement et un texte ad hoc aurait été une exigence minimale. Quant au caractère rectificatif, il est totalement fallacieux puisque les projets rectificatifs sont censés être limités « aux dispositions ayant un effet sur l’année en cours ». Rien à voir donc avec une réforme globale, concernant des millions de Français, des milliards d’euros et s’appliquant pour des années ! Le tripatouillage constitutionnel est total. C’est le sens de la proposition de référendum portée par les parlementaires de la NUPES si d’aventure Emmanuel Macron refusait de retirer son projet comme l’exige le mouvement social et populaire. Qui dirige ? Le monarque présidentiel au service des actionnaires ou le peuple travailleur mobilisé pour ses revendications ?
En usurpant l’esprit des élections de 2022 et de la Constitution, Emmanuel Macron se fait le directeur de campagne de Marine Le Pen pour 2027, après qu’elle ait elle-même permis la réélection d’un président déjà affaibli.
Le gouvernement peut recourir à tous les subterfuges qu’il veut, cela n’empêchera pas une puissante mobilisation populaire de l’emporter ! Il suffit pour s’en convaincre de regarder un peu dans le rétroviseur. Les victoires sociales après des passages en force parlementaires existent ! En 2020, le gouvernement Philippe a pris prétexte du Covid pour enterrer la précédente réforme des retraites pourtant imposée par 49-3 mais rejetée par les Français. Même chose en 2006 où Jacques Chirac avait dû renoncer au Contrat première embauche pourtant imposé lui aussi par 49-3. Se mobiliser contre cette réforme est donc non seulement un acte de légitime défense sociale, mais aussi de légitime défense démocratique contre la monarchie présidentielle. Emmanuel Macron d’ailleurs l’avouait cet automne : « Ce qui se joue, c’est mon autorité ». Le caprice du prince doit être puni. Plus que jamais, les aspirations au progrès social et à la 6e République sont liées. C’est la 5e République qu’il faut mettre à la retraite !